Texte: Gabriela Schreiber
Monsieur Boulouchos, l’accord de Paris fixe les objectifs climatiques. Qu’est-ce qui vous passe par la tête spontanément ?
C’est extraordinaire que, pour la première fois, la communauté mondiale se soit presque unanimement mise d’accord sur une stratégie commune. Cependant, il s’écoule du temps entre la promesse formelle et la ratification. Les climatologues estiment qu’il nous reste 30 à 35 ans pour réduire considérablement les émissions.
Ceci est-il un problème ?
Souvent, ce que nous achetons aujourd’hui ou dans quoi nous investissons, a une longue durée de vie. Une voiture est en service pendant 15 ans, un avion 30 ans et une centrale électrique 50 ans. Les processus de prise de décision politique sont souvent également lents. Cela dit, nous n’avons plus beaucoup de temps.
Donc, des décisions politiques sont demandées ?
À notre époque, il faut avoir le flair pour éliminer les technologies obsolètes. La politique a le devoir de fixer des conditions-cadres fiables. Des mesures incitatives sont un instrument efficace si elles s’orientent au marché, mais elles doivent être justifiées. Les entreprises ont besoin d’une sécurité de planification afin de pouvoir évaluer si leurs investissements seront bénéfiques ou non. Une coordination internationale est également nécessaire pour assurer que les entreprises suisses ne soient pas désavantagées en raison de mesures unilatérales.
Où en est la Suisse ?
La balance entre les émissions et les revenus est excellente en Suisse. De plus, nous disposons des ressources financières, du savoir-faire des universités et de l’industrie ainsi que des bases de données statistiques pour faire la différence dans le secteur de l’énergie grâce à des mesures ciblées, ce qui n’est pas évident même dans des pays européens.
Cependant, nous sommes un petit pays qui du point de vue économique est fortement interconnecté et le secteur des transports est un vecteur de la consommation d’énergie dans le commerce mondial. Une autre question est de savoir comment nous gérons les marchandises importées. Le pays de fabrication est-il seul responsable ou l’acheteur l’est-il également ?
Que faut-il faire pour réussir le tournant énergétique ?
Je veux citer trois approches principales : premièrement, la demande doit être gérée de manière raisonnable. Le potentiel à cet égard provient des technologies et de la numérisation, qui, par exemple, favorisent la mobilité multimodale. Deuxièmement, nous devons encore améliorer l’efficacité. Dans ce contexte, nous avons besoin d’incitations raisonnables pour les investissements des consommateurs et des entreprises. Les émissions de CO2 doivent avoir un prix. Et troisièmement : nous devons passer à d’autres agents énergétiques. Cela signifie que nous électrifierons beaucoup. Par exemple avec des pompes à chaleur pour les maisons ou des voitures électriques et à hydrogène, ainsi qu’avec des carburants synthétiques pour la mobilité longue distance.
Et d’où proviennent les grandes quantités d’électricité ?
Là, nous devons nous tourner vers l’étranger. Pour relever ce défi, une stratégie européenne est nécessaire et la Suisse doit être liée à l’UE par un accord approprié. Cependant, nous avons constaté que la prise de conscience de cette tâche commune n’est pas encore très grande dans les pays concernés.
Pouvons-nous répondre au besoin avec de l’électricité propre ?
Il le faut absolument. Pour cela, nous avons besoin d’une perspective qui est basée sur des systèmes dans la politique. Aujourd’hui, l’industrie est récompensée lorsqu’elle vend des voitures électriques parce qu’elles n’émettent pas de CO2. Cela ne suffit pas. Sachez que : dans le monde entier, le trafic routier émet 5 milliards de tonnes de CO2 par an et les centrales à charbon existantes émettent 11 milliards de tonnes de CO2. Si nous misons sur l’électrification dans les transports et que pour cela nous devons laisser ces centrales électriques connectées à réseau, l’approche n’est pas bonne. En revanche, si nous remplacons ces centrales à charbon par des centrales à gaz, nous éliminerons les 5 milliards de tonnes de CO2 en dix ans. Les questions sont complexes et doivent être réglées à l’échelle internationale.
Voulez-vous dire que nous avons besoin de plusieurs approches ?
Oui, nous devons mettre en place parallèlement des infrastructures capables de fournir de grandes quantités supplémentaires d’électricité pratiquement sans CO2 et ce n’est que lorsque celles-ci seront disponibles que nous pourrons accélérer la mobilité électrique. En attendant, l’hybridation peut être un bon moyen d’accroître l’efficacité, avec des économies d’électricité par voiture de 30% et des coûts supportables.
Quel est actuellement le sujet de vos recherches ?
Nous travaillons sur de nouveaux procédés de combustion avec des combustibles synthétiques. L’idée est de produire une « essence design » à partir de la vapeur d’eau et du carbone que nous extrayons de l’air. Les batteries ne sont pas une option pour les avions et les navires ; ces combustibles synthétiques joueront ici un rôle majeur. Ils offrent également un potentiel pour les entreprises industrielles suisses orientées vers l’exportation qui opèrent dans le domaine des grandes installations, des moteurs de bateaux ou des turbocompresseurs.
Où en êtes-vous dans le développement des carburants synthétiques ?
La technique de fabrication de base a été testée à l’échelle pilote. Ce qu’il faut maintenant, ce sont des investissements financiers dans de grands démonstrateurs pour tester le processus à grande échelle. Je pense qu’il nous faudra encore dix ans avant d’avoir de premières installations semi-commerciales.
Le chemin de l’innovation au déploiement sur le marché est long ?
Je dirais grosso modo que le développement d’un sous-système prend environ 15 à 20 ans. Il ne s’agit pas seulement de l’invention en elle-même, mais de la question de savoir comment organiser le produit. Comment concevoir le processus de fabrication ? De quelles chaînes d’approvisionnement ai-je besoin pour garantir la qualité ? Quels sont les canaux de marché que je souhaite utiliser ? Par exemple, nous avons travaillé environ 15 ans sur le filtre à particules pour moteurs diesel.
Et que peut apporter l’industrie suisse ?
D’une part, l’industrie a besoin d’énergie et les statistiques lui attribuent de bonnes notes ; les émissions de CO2 ont été considérablement réduites. Le coût de l’énergie augmentera et les entreprises continueront d’investir en conséquence, également sur la base de la logique commerciale. Une autre contribution de l’industrie suisse réside dans la conception intelligente des produits, par exemple la technologie des capteurs ou la micromécanique, qui contribuent à l’efficacité énergétique. De nombreuses PME sont à la pointe de la technologie dans leur créneau.
Portrait
Konstantinos Boulouchos est professeur à l’Institut de technologie énergétique du Département de génie mécanique et des procédés depuis 2002. La recherche fondamentale est axée sur les études expérimentales et les méthodes de simulation des écoulements réactifs turbulents. Le transfert des résultats correspondants dans le développement de systèmes de combustion pratiquement exempts d’émissions en utilisant des sources d’énergie renouvelables est un pilier important. L’élaboration et l’évaluation de stratégies pour un système énergétique durable de l’avenir sont une autre priorité. Konstantinos Boulouchos dirige le Centre de compétences suisse pour une mobilité efficace et est président de la commission de l’énergie à l’Académie suisse des sciences naturelles.
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